Durant les premiers siècles de l'islam, plusieurs voies ascétiques et spirituelles émergent à Bassora, Kufa, Bagdad ou encore Nichapour où apparait au 9e siècle le courant de la Malāmatiyya, les « gens du blâme » (ahl al-malāma). Développant un idéal d'anonymat afin de mieux combattre l'égo par un constant blâme de soi, la Malāmatiyya est essentiellement connue grâce à la Risālat al-Malāmatiyya composé par al-Sulamī (m. 411/1021) qui intègre ainsi cette voie à la grande histoire du soufisme. À partir des repères que fournit cet ouvrage, plusieurs questions se posent : les développements du thème du blâme dans le Coran ou dans la poésie arabe primitive expliquent-ils la méthode Malāmatiyya ? Qu'est-ce qui la distingue des autres courants ascétiques des premiers siècles de l'islam ? Quelle relation existe-t-il entre la Malāmatiyya et la Karrāmiyya ? Entre discrétion et provocation, y a-t-il une seule Malāmatiyya ? Quelle est son influence sur les soufis de Bagdad ? Quelles sont les appropriations ultérieures de son héritage, notamment à travers l'influence durable de l'utilisation doctrinale de ce terme par Ibn ʿArabī et ses interprètes ?
During the first centuries of Islam, several ascetic and spiritual paths emerged in Basra, Kufa, Baghdad and Nichapur, where the Malāmatiyya, or “people of blame” (ahl al-malāma), movement appeared in the 9th century. Developing an ideal of anonymity in order to better combat the ego through constant self-blame, the Malāmatiyya is essentially known thanks to the Risālat al-Malāmatiyya composed by al-Sulamī (d. 411/1021), who thus integrates this path into the great history of Sufism. From the landmarks provided by this work, several questions arise: do developments of the theme of blame in the Qur'an or in early Arabic poetry explain the Malāmatiyya method? What distinguishes it from other ascetic currents of the first centuries of Islam? What is the relationship between Malāmatiyya and Karrāmiyya? Between discretion and provocation, is there only one Malāmatiyya? What influence did it have on the Sufis of Baghdad? What are the later appropriations of its legacy, notably through the enduring influence of the doctrinal use of the term by Ibn ʿArabī and his interpreters?
Bibliographie :
• Sulamî, La lucidité implacable. Épitre des Hommes du Blâme (traduit de l'arabe et présenté par Roger Deladrière), Paris, Arléa, 1991.
• Jean-Jacques Thibon, « Adab et éducation spirituelle (tarbiya) chez les maîtres de Nīshāpūr aux III/Ixe et IV/Xe siècles » dans Ethics and Spirituality in Islam, Leiden-Boston, Brill, 2017, pp. 102-130
• Jean-Jacques Thibon, « Abū 'Uṯmān al-Ḥīrī et la synthèse de la spiritualité ḫurāsānienne » dans : Les maîtres soufis et leurs disciples, IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe- XIe), Presses de l'Ifpo, 2012, pp. 55-77.
• Jean-Jacques Thibon, « Malāmatiyya » dans : Encyclopædia of Islam three, Leyde, 2010.
• Paul Ballanfat, « La direction spirituelle chez Abū Saʿīd Ibn Abī l-Ḥayr » dans : Les maîtres soufis et leurs disciples, IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe- XIe), Presses de l'Ifpo, 2012.
• Mohammed Amir-Moezzi, "Scandale et liberté dans la spiritualité islamique" dans : La sincérité. L'insolence du cœur, Paris, Autrement, 1995, pp. 167-180.
• Sara Sviri, “Hakîm Tirmidhî and the Malâmatî Movement in Early Sufism” in: The Heritage of Sufism vol. I, Oxford, Oneworld Publications, 1999.
• Nelly Amri, « Shādhilisme et malāmatisme : l'éthique soufie d'un maître ifrīqiyen d'après les Manāqib du cheikh ʿAbd al-Wahhāb al-Mzūghī (m. 675/1276) » dans Ethics and Spirituality in Islam, Leiden-Boston, Brill, 2017, pp. 479-503.
• Abdul-Ḥādi (Ivan Aguéli), L'épitre sur le Prophète el-malāmatiyah dans « Le Traité de l'Unité » dit d'Ibn ʿArabî, Paris, Michel Allard, 1977.