Quel rôle les missionnaires chrétiens installés à la fin de l'Emipre ottoman ont-ils joué dans la constitution de traditions et de savoirs patrimoniaux sur les mondes anatoliens ? Dans quels champs disciplinaires, de l'archéologie, via l'histoire, à l'anthropologie et au folklore ou à la science politique, ont-ils accumulé des connaissances, et avec quels objectifs? Quelle incidence leurs choix de catégories d'analyse et leurs objectifs missiologiques ont-ils eu sur la définition de patrimoine et les actions en vue de sa conservation ?
Les recherches sur le patrimoine soulignent le caractère historiquement et culturellement situé, sélectif et accumulateur, voire instrumental des emplois de cette notion. La missiologie, comme théorie des méthodes d'apostolat, et le patrimoine semblent devoir être étroitement liés. Est-ce bien le cas, et si oui, avec quelles conséquences ? L'histoire des missions chrétiennes installées parmi les habitants de l'Anatolie est révélatrice. Les textes missionnaires ont essentiellement une vocation instrumentale et scientifique. La dimension patrimoniale inhérente à la littérature missionnaire se révèle à mesure que se développe le tourisme, plus rare cependant dans la majeure partie de l'Anatolie qu'au Levant.
Dans cet atelier, nous souhaitons discuter en premier lieu de l'intention patrimoniale ou non des missionnaires dans leurs travaux sur l'histoire anatolienne. Ceux-ci manifestent des priorités nettes: ils tendent à situer en termes ethnonationaux la démographie et les phénomènes socio-culturels; l'édition critique de textes grecs et arméniens, de patristique ou d'histoire notamment, occupe une bonne place. L'histoire de l'Eglise des premiers siècles est également centrale dans les travaux archéologiques issus de ces milieux. Quelle place la science, la pastorale et le souci de conservation du passé occupent-ils ici ?
En second lieu, il importe de prendre la mesure des effets des transformations démographiques dramatiques à la fin de l'Empire ottoman et lors de l'établissement de la République de Turquie. Les historiens ont surtout exploré les effets politiques et économiques du génocide des chrétiens anatoliens, des migrations forcées et de l'échange de population des années 1923-1926. L'homogénéisation religieuse et nationale a entraîné la disparition ou la négligence de nombreux repères, confessionnellement identifiés, du passé, en même temps que le départ de la vaste majorité des missions. Au sein de ces dernières, la plupart ont tourné le dos à l'Anatolie mais la minorité semble avoir adopté un discours de sauvegarde du patrimoine chrétien anatolien en même temps que des rares membres restés sur place des communautés chrétiennes. Quel rapport s'établit, de la fin de l'Empire ottoman à l'effacement des années 1920-1930, entre la dimension patrimoniale de plus en plus claire du travail des missionnaires, et la vocation humanitaire qui prend le dessus parmi les activités des missionnaires auprès des chrétiens originaires d'Anatolie ?
Christian missions and Anatolian Heritage. Construction effects and pragmatics of knowledge production (1830s-1950s)
What role did the Christian missionaries who settled at the end of the Ottoman Empire play in building up traditions and heritage knowledge about the Anatolian worlds? In what disciplinary fields, from archaeology, history, anthropology to folklore or political science, did they accumulate knowledge, and with what objectives? What impact have their choice of categories of analysis and their missiological objectives had on the definition of heritage and the actions taken to conserve it?
Research on heritage emphasises the historically and culturally situated, selective and accumulative, even instrumental, nature of the concept's uses. Missiology, as a theory of apostolic methods, and heritage seem to be closely linked. Is this the case, and if so, with what consequences? The history of Christian missions among the inhabitants of Anatolia is revealing. Missionary texts were essentially instrumental and scientific. The heritage dimension inherent in missionary literature is revealed as tourism develops, although it is rarer in most of Anatolia than in the Levant.
In this panel, we would firstly like to discuss whether or not the missionaries intended their work on Anatolian history to be heritage-related. Their priorities are clear: they tend to situate demography and socio-cultural phenomena in ethno-national terms; critical editions of Greek and Armenian texts, particularly in patristics and history, play an important role. The history of the Church in the early centuries is also central to archaeological work in these areas. What place do science, pastoral care and the concern to preserve the past occupy here?
Secondly, it is important to assess the effects of the dramatic demographic transformations at the end of the Ottoman Empire and the establishment of the Republic of Turkey. Historians have mainly explored the political and economic effects of the genocide of Anatolian Christians, forced migrations and the population exchange of 1923-1926. Religious and national homogenisation led to the disappearance or neglect of many denominational landmarks from the past, at the same time as the departure of the vast majority of missions. Most of the latter have turned their backs on Anatolia, but a minority seem to have adopted a stance of safeguarding the Anatolian Christian heritage and the few members of Christian communities who have remained. What relationship was established, from the end of the Ottoman Empire to the fading of the 1920s and 1930s, between the increasingly clear heritage dimension of the missionaries‘ work and the humanitarian vocation that took precedence among the missionaries' activities among the Christians of Anatolia?