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La purge massive comme technique de gouvernementalité en Turquie néolibéral autoritaire : Classement, déclassement, reclassement / Mass purge as a technique of governmentality in authoritarian neoliberal Türkiye: Classification, downgrading, reclassification
Sümbül Kaya  1, *@  , Cem Özatalay  2, *@  
1 : Environnement, Ville, Société  (EVS)
Centre national de la recherche scientifique (UMR 5600), CNRS, Université de Lyon, ENTPE
2 : Galatasaray Universitesi  (GSU)
* : Auteur correspondant

Résumé en français : 

Les purges politiques sont historiquement l'un des instruments majeurs des changements de régime, comme l'indique Françoise Dreyfuss en soulignant la nécessité de « sanctionner ceux qui ont mis en œuvre les politiques du régime autoritaire ou totalitaire » et de prévenir tout risque de garder « les loups dans la bergerie » (Dreyfus, 2004). Dans les régimes totalitaires et autoritaires, les purges visent d'une part à éliminer d'autres élites par la violence, et d'autre part à instiller la peur pour dissuader toute velléité de résistance (Mahdavi & Ishiyama, 2020, p. 3). Elles permettent de neutraliser les menaces des masses tout en consolidant le partage du pouvoir au sein des cercles autoritaires (Svolik, 2012).

Si au XXe siècle, les purges étaient souvent associées à la gestion des rivalités entre élites, nous observons aujourd'hui un déplacement des cibles prioritaires vers les masses dans les régimes hybrides contemporains (semi-démocratiques, autoritaires compétitifs, néo-fascistes, etc.). Au XXIe siècle, la purge politique est alors devenue, une technique de gouvernementalité nécropolitique (Mbembe, p. 29) incarnée par une “peine de mort civique[1]” visant à discipliner les masses et à imposer « une loyauté forcée[2] ».

Ce panel propose d'analyser les purges, non seulement à travers leurs modalités, mais aussi en examinant leurs effets sur les individus. Brutalement déclassées, par un simple décret-loi, comment les personnes purgées réinvestissent-elles des dispositions et des capitaux précédemment acquis ? Quelles sont leurs stratégies de résistances individuelle et collective face à ce déclassement ? On s'intéressera au déclassement considéré comme « un déplacement descendant » dans sa dimension à la fois individuelle par l'érosion de certains capitaux, mais aussi collective par la dévaluation de catégories sociales[3]. En étudiant les trajectoires sociales et les socialisations antérieures des individus affectés, nous pourrons saisir comment la valeur de leurs capitaux évolue dans la période post-coup d'État de juillet 2016, et identifier les ressources mobilisées pour résister dans ce contexte de répression.

Nous encourageons des propositions qui prennent en compte les différentes temporalités des purges, les spécificités institutionnelles, ainsi que les divers effets du déclassement. Les recherches sur les résistances et adaptations individuelles et collectives face à ces purges seront particulièrement valorisées.

[1] La mort civique est entendue comme une privation de leurs droits social, économique et politique. La « mort civique » par les décrets-lois permettrait d'exclure les individus en dehors du champ politique sans recourir à des emprisonnements ou à des exécutions (Sertdemir Özdemir; Özyürek, 2019). 

[2] Projet ANR - CALOT « Les conséquences de la loyauté forcée » sous la direction de Maya Collombon et Lilian Mathieu. 

[3] Pierre Bourdieu mentionne les cas de « déplacement descendant ‘dans le même secteur vertical de l'espace, c'est-à-dire dans le même champ', il évoque à peine l'érosion brutale de capitaux individuels, et se focalise sur les déclassements collectifs, qui résultent de la dévaluation de catégories sociales ». (Sinthon, p.224).

Bibliographie :

  • Bourdieu, Pierre. Classement, déclassement, reclassement. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 24, novembre 1978. pp. 2-22.
  • Dreyfus, Françoise. Introduction. In: L'administration dans les processus de transition démocratique, édité par Françoise Dreyfus, Éditions de la Sorbonne, 2004.
  • Mbembe, Achille. « Nécropolitique », Raisons politiques, vol. 21, no 1, 2006.
  • Mahdavi, Paasha & Ishiyama, John. Dynamics of the Inner Elite in Dictatorships: Evidence from North Korea, Comparative Politics, 2020, vol.52, no 2, pp. 221-249.
  • Özatalay, Cem. « Purge, Exile, and Resistance: Rethinking the Conflict of the Faculties through the Case of Academics for Peace in Turkey », European Journal of Turkish Studies, 30/2020.
  • Sertdemir Özdemir, Seçkin & Özyürek, Esra. « Civil and Civic Death in the New Authoritarianisms: Punishment of Dissidents through Juridical Destruction, Ethical Ruin, and Necropolitics in Turkey », British Journal of Middle Eastern Studies, 2019, 46:5, pp. 699-713.
  • Sinthon, Remi. Dictionnaire international Bourdieu, 2020, pp. 223-225.
  • Svolik, Milan W. The Politics of Authoritarian Rule, New York: Cambridge University Press, 2012.

Abstract in English: 

Political purges have historically been one of the key instruments of regime change, as Françoise Dreyfuss points out, highlighting the necessity to "sanction those who implemented the policies of the authoritarian or totalitarian regime" and to prevent the risk of "keeping wolves in the fold" (Dreyfus, 2004).In totalitarian and authoritarian regimes, purges are aimed, on the one hand, at eliminating other elites through violence, and on the other, at instilling fear to deter any attempts at resistance (Mahdavi & Ishiyama, 2020, p. 3). They serve to neutralize threats from the masses while consolidating the distribution of power within authoritarian circles (Svolik, 2012). While in the 20th century, purges were often associated with managing rivalries between elites, we now observe a shift in target toward the masses in contemporary hybrid regimes (semi-democratic, competitive authoritarian, neo-fascist, etc.). In the 21st century, political purges have thus become a necropolitical governmentality technique (Mbembe, p. 29), embodied by a kind of "civic death penalty[4]" aimed at disciplining the masses and imposing "compulsory loyalty[5]."

This panel aims to analyze purges, not only through their modalities but also by examining their effects on individuals. Brutally declassified by simple decree-laws, how do purged individuals reinvest their previously acquired dispositions and capital? What individual and collective resistance strategies do they develop in response to this declassification? We will explore declassification as a "downward shift," both in its individual dimension, through the erosion of certain forms of capital, and in its collective dimension, through the devaluation of social categories[6]. By studying the social trajectories and prior socialization of affected individuals, we can understand how the value of their capital evolves in the post-July 2016 coup d'état period, and identify the resources mobilized to resist within this context of repression.

We encourage proposals that consider the different temporalities of purges, institutional specificities, and the various effects of declassification. Research on individual and collective resistance and adaptation to these purges will be particularly appreciated.

 

[4] Civic death is understood as the deprivation of social, economic, and political rights.
Civic death through decree-laws allows individuals to be excluded from the political sphere without resorting to imprisonment or executions (Sertdemir Özdemir; Özyürek, 2019).

[5] ANR Project - CALOT "The Consequences of Forced Loyalty" under the direction of Maya Collombon and Lilian Mathieu.

[6] Pierre Bourdieu mentions cases of "downward displacement 'within the same vertical sector of space, that is, within the same field'," barely touching on the brutal erosion of individual capital, and focuses on collective declassifications, which result from the devaluation of social categories" (Sinthon, p.224).

Bibliographie :

  • Bourdieu, Pierre. Classement, déclassement, reclassement. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 24, novembre 1978. pp. 2-22.
  • Dreyfus, Françoise. Introduction. In: L'administration dans les processus de transition démocratique, édité par Françoise Dreyfus, Éditions de la Sorbonne, 2004.
  • Mbembe, Achille. « Nécropolitique », Raisons politiques, vol. 21, no 1, 2006.
  • Mahdavi, Paasha & Ishiyama, John. Dynamics of the Inner Elite in Dictatorships: Evidence from North Korea, Comparative Politics, 2020, vol.52, no 2, pp. 221-249.
  • Özatalay, Cem. « Purge, Exile, and Resistance: Rethinking the Conflict of the Faculties through the Case of Academics for Peace in Turkey », European Journal of Turkish Studies, 30/2020.
  • Sertdemir Özdemir, Seçkin & Özyürek, Esra. « Civil and Civic Death in the New Authoritarianisms: Punishment of Dissidents through Juridical Destruction, Ethical Ruin, and Necropolitics in Turkey », British Journal of Middle Eastern Studies, 2019, 46:5, pp. 699-713.
  • Sinthon, Remi. Dictionnaire international Bourdieu, 2020, pp. 223-225.
  • Svolik, Milan W. The Politics of Authoritarian Rule, New York: Cambridge University Press, 2012.

 

 


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