Résumé
La sécularité au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) : actualité de la recherche
La loi française sur la séparation de l'Église et de l'État du 9 décembre 1905 a connu une application sélective au Maghreb, sous domination française. Son application était en effet exclue du Maroc et de la Tunisie, alors protectorats (respectivement 1912-1956 et 1881-1956), tandis qu'en Algérie (départements français depuis 1848), la loi renvoyait pour son application à un décret d'application. Publié en 1907, celui-ci vidait de sa substance le principe même de laïcité, en permettant de continuer à subventionner les ministres du culte, afin de mieux les contrôler (Achi, 2005). Le mouvement national algérien sera ainsi marqué aussi bien dans son versant politique (ENA-PPA-MTLD/Fédération des élus-UDMA/PCA) que cultuel (Oulémas), par des revendications réclamant la stricte application de la loi de séparation en Algérie (Achi, 2007). Une fois les indépendances acquises, les différents États de la région seront travaillés par des revendications divergentes. Celle de la laïcité apparaît ainsi dans les débats de la première Assemblée constituante tunisienne (1956-1959) (Bouassida, 2023), tandis que les projets de Constitution de la Fédération de France du FLN (mai 1962) et du Collectif des avocats du FLN (avril 1963) s'en réclamèrent aussi (Cherbi, 2024). Quant au Maroc, les revendications en faveur de la laïcité furent rapidement écartées par les autorités, l'islam ayant en effet servi de légitimation au maintien de la monarchie (Belal, 2003). La reconnaissance de l'islam à titre de religion de l'État au Maroc (Const., 1962) et en Algérie (Const. 1963) ne clarifia pas la question, la doctrine considérant tantôt cette proclamation comme symbolique, tantôt comme source d'effectivité juridique, alors que la Charia n'a jamais été explicitement proclamée source de la législation dans les trois pays centraux du Maghreb, mais seulement à titre de référence subsidiaire, à défaut de loi, dans les statuts personnels algérien et marocain (Cherbi, 2023 ; Laghmani, 1994). En Tunisie, la même question s'était posée jusqu'à la nouvelle Constitution de 2014, sur le fondement d'une disposition plus ambiguë encore, selon laquelle « la Tunisie est un État libre [...] sa religion est l'islam [...] », sans savoir si la religion se référait au pays ou à l'État. En outre, la nuance entre religion de l'État et religion d'État (Camau, 1981) peut s'entendre d'un État « maître de la religion » et non dominé par la religion (Amor, 1996), dans une certaine forme de « laïcité islamique » (Sanson, 1983) ou gallicanisme maghrébin, où l'État a le dernier mot sur la religion, au risque de l'instrumentaliser et d'en faire « sa chose ». De-là la question de la laïcité dans le Maghreb contemporain, revendiquée tantôt selon l'appellation française (RCD algérien), tantôt sous l'appellation polysémique d'État civil (FFS algérien/Const. tunisienne de 2014). Une telle thématique se propose ainsi d'étudier l'actualité de la recherche sur la sécularité au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), aussi bien sur le plan de l'histoire coloniale et des mouvements nationaux (1er axe), que sur celui du droit, à travers les controverses doctrinales et jurisprudentielles sur la question, par une évaluation empirique des éléments religieux et séculiers dans des domaines législatifs concrets qui serviront de cas d'étude (2e axe) et sur celui de la science politique, à travers les revendications des sociétés civiles et des partis politiques de la région et les différentes conceptions de la laïcité qu'elles recouvrent (3e axe).
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