L'image en contexte religieux musulman / The Image in Muslim religious contexts
Nourane Ben Azzouna  1@  
1 : UOH – Université de Strasbourg  (UOH)
UMR7044 Archimède

Le « Bilderverbot », l'interdiction des images représentant des êtres vivants en islam, et ses contournements, n'ont cessé de faire l'objet de débats depuis plusieurs siècles. A notre connaissance, les premières traces de tels débats, ou plus exactement accusations, remontent au concile de Nicée II en 787. La première « Dissertation critique » consacrée à « cette question, si les figures d'hommes et d'animaux sont défendues dans l'Alcoran » est publiée en 1789 (Toderini 1789). Les articles et ouvrages sur le sujet sont encore fort nombreux aujourd'hui. Ces débats eux-mêmes ont fait l'objet d'analyses historiographiques, par exemple par Christiane Gruber ou Finbarr Barry Flood (Gruber 2019, Flood 2022). La longévité et le caractère passionné de la discussion s'expliquent, entre autres, par le fait qu'elle soit marquée par les paradigmes radicaux de l'incohérence, voire de la contradiction. L'islam étant généralement considéré comme « a fiercely trancendent and iconoclastic doctrine » (Moin 2015), l'image y est souvent confinée dans les limbes de l'anomalie, de l'« irrégularité » (Toderini 1789) à « l'invraisemblance » (Papadopoulo 1976).

Cet atelier a pour objectif de contribuer au débat précisément en reconsidérant la supposée contradiction fondamentale entre la religion musulmane et l'image représentationnelle, en croisant le témoignage des textes normatifs musulmans et des images représentationnelles islamiques. Si le Coran ne contient aucun passage comparable au deuxième commandement, ce sont le Ḥadīth, les Traditions du Prophète Muḥammad, et le droit musulman qui sont considérés comme les sources de référence sur le statut de l'image représentationnelle en islam. Or, aucun de ces deux corpus n'a encore fait l'objet d'une étude approfondie de ce point de vue. Que pourrait apporter la méthode du « isnād-cum-matn » ou « matn-cum-isnād » (Motzki 2005 ; Natif 2019) à nos connaissances sur l'histoire du statut des images dans le milieu des traditionnistes ? De même, que révèlerait une analyse systématique des corpus juridiques, des manuels de fiqh aux collections de fatwā ? Et surtout, comment évaluer l'impact des ulémas sur la conception et la pratique de l'image et plus généralement des arts visuels dans le monde islamique ?

Croiser les sources textuelles et visuelles est aussi possible à l'échelle de la culture matérielle. En effet, de très nombreuses œuvres islamiques sont le support de textes et d'images à la fois. Si le rapport texte-image commence à être étudié dans le contexte des manuscrits scientifiques et narratifs illustrés, il n'en est encore rien dans d'autres formes de culture matérielle, de l'architecture aux objets d'art et aux objets utilitaires. Or, nombreux sont les cas où non seulement un texte, mais un texte religieux tel qu'un extrait du Coran, une référence ou une invocation à Dieu, au Prophète ou à un autre personnage saint côtoient une image. Le cas le plus connu est celui des monnaies antérieures aux réformes du calife umayyade ʿAbd al-Malik en 77 H / 696-7, mais de nombreux autres exemples peuvent être cités. A ce titre, les spolia préislamiques remployés dans des monuments musulmans méritent une attention particulière. Par exemple, y a-t-il des convergences entre les chapiteaux et reliefs byzantins intégrés dans des mosquées telles qu'al-Aqṣā et al-Azhar ? Comment les sélections coraniques et les remplois iconographiques interagissent-ils dans les édifices publics, de l'Anatolie seldjoukide à l'Egypte mamlouke ? Au-delà du remploi, comment textes musulmans et images créées ex nihilo sont-ils conjugués dans les textiles andalous ou fatimides, les métaux incrustés iraniens et irakiens ou les céramiques lustrées de Kashan... ?

En tentant d'adresser quelques unes de ces questions, les contributions porteront un regard neuf sur des corpus connus ou moins connus, avec une attention particulière aux rapports entre textes religieux et images représentationnelles. L'objectif est de tenter de dépasser le paradigme de l'anomalie vers une analyse des images comme un langage à part entière des sociétés islamiques. 

 

The Image in Muslim religious contexts

The "Bilderverbot", the ban on images of living creatures in Islam, and its circumventions, have been the subject of constant debate for several centuries. As far as we know, the first traces of such debates, or more accurately accusations, date back to the Council of Nicaea II in 787. The first “Critical Dissertation” devoted to “this question, whether the figures of men and animals are banned in the Alcoran” was published in 1789 (Toderini 1789). There are still many publications on the topic today. These debates themselves have been the subject of historiographical analyses, for example by Christiane Gruber (Gruber 2019) or Finbarr Barry Flood (Flood 2022). The longevity and passionate nature of the discussion can be explained, among other things, by the fact that it is marked by the radical paradigms of incoherence and even contradiction. As Islam is generally considered to be “a fiercely trancendent and iconoclastic doctrine” (Moin 2015), the image is often confined to the limbo of anomaly, from “irregularity” (Toderini 1789) to “implausibility” (Papadopoulo 1976).

The aim of this workshop is to contribute to the debate precisely by reconsidering the supposed fundamental contradiction between the Muslim religion and the representational image, by crossing the testimony of Muslim normative texts and Islamic representational images. While the Qur'ān contains no passage comparable to the second commandment, it is the Ḥadīth, the Traditions of Prophet Muḥammad, and Muslim law that are considered the reference sources on the status of the representational image in Islam. Yet neither of these two corpuses has yet been the subject of an in-depth study from this perspective. What might the "isnād-cum-matn" or "matn-cum-isnād" method (Motzki 2005; Natif 2019) contribute to our knowledge of the history of the status of the image in the traditionalist milieu? Similarly, what would a systematic analysis of the legal corpora, from fiqh manuals to collections of fatwās, reveal? And more importantly, how to evaluate the impact of the ulamāʾ on the conception and practice of the image and, more generally, of the visual arts in the Islamic world?

Cross-referencing textual and visual sources is also possible at the level of material culture. In fact, many Islamic works bear both texts and images in dialogue. While the text-image relationship is beginning to be studied in scientific and narrative illustrated manuscripts, this is not yet the case in other forms of material culture, from architecture to art objects. There are many cases where not only a text, but also a religious text such as an excerpt from the Qur'ān, a reference or an invocation to God, the Prophet or another holy figure, is displayed alongside an image. The best-known case is that of the coins predating the reforms of Umayyad caliph ʿAbd al-Malik in 77 H / 696-7, but many other examples can be cited. In this respect, pre-Islamic spolia reused in Muslim monuments deserve particular attention. For example, are there convergences between Byzantine capitals and reliefs incorporated into mosques such as al-Aqṣā or al-Azhar? How do Qurʾānic quotations and iconographic spolia interact in public buildings, from Seljuk Anatolia to Mamluk Egypt? How do Muslim texts and images created ex nihilo fit together in Andalusi and Fatimid textiles, Iranian and Iraqi inlaid metalworks or lustre tiles from Kashan...?

In attempting to address some of these questions, the contributions will take a fresh look at both well-known and lesser-known works, with particular attention to the relationship between religious texts and representational images. The aim is to move beyond the paradigm of anomaly towards an analysis of images as a language in its own right in Islamic societies. 

 

Références citées / References cited :

Flood, Finbarr Barry, “Islam and image: Paradoxical histories», in Axel Langer (ed.), In the name of the image. Figurative representation in Islamic and Christian cultures, Berlin, 2022, p. 301-318.

Gruber, Christiane (ed.), The Image debate: Figural representation in Islam and across the world, Londres : Gingko, 2019.

Moin, A. Azfar, 2015, “Sovereign violence: Temple destruction in India and shrine desecration in Iran and Central Asia”, Comparative Studies in Society and History 57/2, pp. 467-496.

Motzki, Harald, 2005, “Dating Muslim Traditions: A survey”, Arabica 52/2, pp. 204-253.

Natif, Mika, 2019, “‘Painters will be punished' – The politics of figural representation amongst the Umayyads”, in Gruber, Christiane (ed.), The Image debate: Figural representation in Islam and across the world, Londres : Gingko, 2019, pp. 33-45.

Papadopoulo, Alexandre, 1976, L'Islam et l'art musulman, Paris : Editions d'Art Lucien Mazenod.

Toderini, 1789, « Dissertation critique sur cette question, si les figures d'hommes et d'animaux sont défendues dans l'Alcoran », in De la littérature des Turcs, trad. de l'italien par M. l'abbé de Cournand, Paris : Poinçot, vol. 3, pp. 47-78 (le texte original est daté de 1785).

 

Mots-clés / Key words

Histoire de l'art, image, représentation figurée, islam, religion musulmane, espace religieux, rapport texte-image

Art history, image, figurative representation, Islam, Muslim religion, religious space, text-image relationship


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