Résumé
Désignant à la fois un concept, un produit et un processus, la traduction dans le monde musulman a jusqu'à présent fait l'objet d'études parcellaires. Parmi les phénomènes étudiés, on peut citer le transfert d'ouvrages en grec et en syriaque vers l'arabe à Bagdad à l'époque de l'« âge d'or abbasside » (IX-Xe siècles), ainsi que des recherches plus récentes sur les traductions persanes effectuées à partir du sanskrit et d'autres langues indiennes au sein du sultanat de Delhi et de l'Empire moghol (XIIIe-XIXe siècles). En ce qui concerne l'Empire ottoman (1299-1922), les chercheurs se sont principalement intéressés aux traductions effectuées depuis des langues européennes vers le turc, tandis que, malgré quelques études, les traductions entre les langues du monde musulman, notamment l'arabe, le persan et le turc, n'ont pas fait l'objet d'un examen systématique. Cette lacune est manifeste à la lecture des encyclopédies de référence en études moyen-orientales : les processus de traduction au sein du monde musulman pendant la période post-abbasside (XIIIe-XIXe siècle) sont généralement négligés, voire omis, malgré la richesse des sources existantes dans différents genres à ce sujet.
Par contraste, la traduction a joué un rôle majeur dans les évolutions intellectuelles et politiques du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale. Devenues partie intégrante du canon littéraire de l'Empire, les traductions de l'arabe et du persan vers le turc ottoman étaient parfois littérales, mais le plus souvent modifiées, enrichies de commentaires, abrégées ou adaptées à des fins didactiques, littéraires, idéologiques ou théologiques. Ce panel se propose d'examiner ces phénomènes en étudiant les activités de traduction dans toute la diversité de leurs dimensions, à travers des études de cas portant sur des traductions de textes arabes et persans vers le turc. Les contributions porteront sur des textes de genres variés, allant de l'historiographie aux sciences religieuses, en passant par les ouvrages encyclopédiques, biographiques et hagiographiques, entre autres domaines. Le panel visera, de manière plus large, à explorer le contexte socio-culturel entourant la production, la transmission et la réception de ces textes, en adoptant une approche interdisciplinaire qui intègre les études moyen-orientales, la traductologie et la philologie matérielle. Les membres du panel s'intéresseront au rôle des traducteurs en tant qu'agents de transmission des savoirs et figures clés des réseaux d'érudition et de pouvoir (trans)régionaux et une attention particulière sera également portée à la circulation ultérieure des traductions dans divers contextes et auprès de publics variés, notamment en examinant les éléments paratextuels présents sur les copies de ces œuvres (notes de possession et de waqf, annotations marginales et interlinéaires, etc.).
Abstract :
The topic of translation as a concept, process, and product in the Islamic world has only been selectively studied. These studies include the transfer of Greek and Syriac works into Arabic in Abbasid Baghdad (9th–10th centuries) as well as more recent research on translations in the Delhi Sultanate and Mughal Empire on the Indian subcontinent (13th to 19th centuries) from Sanskrit and other Indian languages into Persian. Regarding the Ottoman Empire (1299–1922), research has notably examined translations from European languages into Ottoman Turkish. However, a systematic analysis of translations between Islamic languages (Arabic, Persian, and Turkish) beyond isolated examples remains a research gap. This gap is evident in encyclopedic works in Middle Eastern studies, where translations within Islam from the post-Abbasid period (from the 13th century until around 1800) are often entirely omitted despite the wealth of sources in various text genres.
In contrast, the role of translation in the long-term political and intellectual developments in the Eastern Mediterranean and the Middle East is significant. Translations of Arabic and Persian works into Ottoman Turkish, which became part of a canon, were not only word-for-word translations but also deliberately altered through commentary, abbreviation, or other adaptations for didactic, literary, ideological or theological purposes. The present panel vows to examine these phenomena by focusing on translations of Arabic and Persian texts into Turkish across various genres, including historiography, religious sciences, encyclopaedia, biography, and hagiography. In broader terms, the panel aims at providing a socio-cultural context for the production, transmission, and reception of these texts. This will be achieved through an interdisciplinary approach that integrates Middle Eastern studies, translation studies, and material philology. The panelists will examine how translators acted as agents of knowledge transfer and key figures in (trans-)regional power and scholarly networks. Additionally, the panel will explore the later circulation of translations in distinct contexts and for a varied readership, notably through the study of paratextual elements within the manuscript copies of these texts (possession and waqf notes, marginal and interlinear annotations, etc.).