Le commerce du bétail, notamment du mouton, vers et dans le monde musulman, est spectaculaire par son ampleur, son emprise sur le quotidien des populations et sur les territoires (zones urbaines, périurbaines et zones rurales). L'Aïd-al-Adha (ou Aïd-El-Kébir Tabaski en Afrique, et Qurbān dans le monde perse) en tant que fait social total où rien ne se comprend indépendamment du tout (Brisebarre 1998) en est l'événement périodique paroxystique. Si de nombreux travaux ont déjà abordé l'Aïd en tant que fait social majeur ou minoritaire, défi logistique et urbain, ou comme moment de focalisation intense pour les filières productrices locales (Brisebarre 1998, Ninot et al. 2009 ; Franck et al. 2016), peu d'études l'abordent dans sa dimension globale (c'est-à-dire comme une incarnation méconnue de la mondialisation dont l'étude nécessite une approche comparative internationale et multi-située), et dans ses reconfigurations actuelles en lien avec la crise de la covid et le contexte de tensions géopolitiques actuelles. La complexité et la variété des évolutions observées, de leurs causes et de leurs effets, nous invitent à élargir nos approches et les cadres d'analyse. D'une part, en combinant les regards disciplinaires, et d'autre part, en variant les focales, les échelles et les objets d'étude. Nous inviterons donc les auteur.e.s à proposer des interventions abordant ces processus en les inscrivant dans trois axes qui correspondent à trois grandes approches.
Axe 1 : Reconfigurations spatiales du commerce du bétail
Dans cet axe, il s'agira de dresser une carte actuelle des flux et des directions de ce commerce. Dans un contexte changeant, la géographie du commerce de moutons se recompose et se réorganise à toutes les échelles, parfois dans une informalité qui autorise des adaptations plus rapides. Cette instabilité, qui peut paraître paradoxale au regard des enjeux économiques et de l'ampleur des trafics (Nicolas et al., 2018) est pourtant l'une des caractéristiques essentielles de ces filières éphémères et souvent invisibilisées qui, tantôt adoptent des configurations originales, tantôt mobilisent des structures existantes (marchés, réseaux, intermédiaires, etc.)
Axe 2 : La fête et le commerce du bétail en tension : vers une diplomatie du mouton ?
La fête du sacrifice peut faire partie des leviers possibles de propagande, entrer dans le registre des enjeux identitaires, et le commerce de moutons être un objet de déstabilisation ou de financement interne d'entités politiques. Le deuxième axe proposera ainsi de questionner le commerce de bétail comme économie de guerre, économie dans la guerre (Bozarslan 1996) et l'Aïd comme objet de détournements, de revendications ou de résistances dans un monde en tension.
Axe 3 : Le commerce et l'Aïd comme révélateur des évolutions et des inégalités sociales
Enfin, la dernière thématique s'intéressera aux bouleversements sociaux et sociétaux en lien avec les questions abordées dans les deux premiers axes. Ici, les propositions pourront renseigner les reconfigurations qui s'opèrent au sein des économies morales en présence, entendues ici comme des réseaux de valeurs et de normativités saturées d'affects (Daston 1995), qu'elles soient locales, régionales, nationales ou internationales, confessionnelles, éthiques, identitaires ou professionnelles, confrontés aux inégalités que les phénomènes de l'Aïd et du commerce de moutons révèlent.
*****
The trade-in livestock, particularly sheep, to and within the Muslim world, is spectacular in terms of its scale, impact on people's daily lives, and territorial impact (urban, peri-urban and rural areas). Eïd-al-Adha (عيد الأضحى المبارك), as a total social event in which nothing can be understood in isolation from everything else (Brisebarre 1998), is the paroxysmal periodic event. While many studies have already talked about Eid as a major or minority social event, a logistical and urban challenge, or a moment of intense focus for local production sectors (Brisebarre 1998, Ninot et al. 2009; Franck et al. 2016), few studies talk about it in its global dimension (that means as a little-known embodiment of globalisation whose study requires an international and multi-sited comparative approach), and in its current reconfigurations in connection with the covid crisis and the context of current geopolitical tensions. The complexity and variety of the changes observed, and their causes and effects, mean that we need to broaden our approaches and analytical frameworks. On the one hand, by combining disciplinary perspectives, and on the other, by varying the focal points, scales and objects of study. Therefore, We will invite authors to propose presentations about these processes from three angles, corresponding to three major approaches.
Theme 1: Spatial reconfigurations of the livestock trade
The aim is to draw up a current map of the flows and directions of this trade. In a changing context, the geography of the sheep trade is being recomposed and reorganised at all levels, sometimes in an informal way that allows for more rapid adaptation. This instability, which may seem paradoxical given the economic stakes and the scale of the trade (Nicolas et al., 2018), is one of the essential characteristics of these ephemeral and often invisible networks, which sometimes adopt original configurations and sometimes use existing structures (markets, networks, intermediaries, etc.).
Theme 2: The feast and the livestock trade in tension: towards sheep diplomacy?
The feast of sacrifice can be used as a lever of propaganda, as part of identity issues, and the sheep trade can be used to destabilise or provide inner funding for political entities. The second strand of the study will examine the livestock trade as an economy of war, an economy within war (Bozarslan 1996), and Eid as an object of diversion, demands or resistance in a world in tension.
Area 3: Trade and Eid as indicators of social change and inequality
Finally, the last theme will examine the social and societal upheavals associated with the issues discussed in the first two areas. Here, the proposals will provide information on the reconfigurations taking place within the moral economies in question, understood here as networks of values and normativity saturated with affects (Daston 1995), whether local, regional, national or international, confessional, ethical, identity-based or professional, and confronted with the inequalities revealed by the Eid and sheep trade phenomena.
Bibliographie
Bozarslan, Hamit. “Kurdistan: économie de guerre, économie dans la guerre.” In Economie des guerres civiles, de François Jean et Jean Claude Rufin, Hachette. Économie des guerres civiles. - Paris : Hachette, ISBN 2012787886. - 1996, p. 104-146. Paris, 1996.
Brisebarre, Anne-Marie. La fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l'espace urbain. CNRS. Méditerranée, 1998.
Daston, Lorraine. “The Moral Economy of Science.” Osiris 10 (1995): 2–24.
Franck, Alice, Jean Gardin, and Olivier Givre. “La mort animale rituelle en ville.” Histoire urbaine n° 44, no. 3 (2015): 139–68.
Givre, Olivier. “Les Nouveaux Sens Du Sacrifice Musulman. Une Ethnographie Du Changement Rituel à Istanbul (Turquie).” Ethnographiques.Org, 2016.
Nicolas, Gaëlle, Andrea Apolloni, Caroline Coste, G. R. William Wint, Renaud Lancelot, and Marius Gilbert. “Predictive Gravity Models of Livestock Mobility in Mauritania: The Effects of Supply, Demand and Cultural Factors.” Edited by Rachata Muneepeerakul. PLOS ONE 13, no. 7, 2018.
Ninot, Olivier, Néné Dia, Tiguidanké Gassama, and E.H. Malick Seye. “La Fête Du Mouton, Des Moutons Pour La Fête. Rapport de Recherche Sur La Tabaski 2008 Au Sénégal.” CIRAD, 2009.