Résumé en français :

Des travaux de Léo Strauss[1] aux productions récentes d'Emmanuelle Tixier Du Mesnil[2] en passant par les élaborations de Mohamed Arkoun[3], s'est posée la problématique de la relation mouvante et difficultueuse entre savoir et pouvoir en terre d'Islam. Que ce soit pour assumer ses écrits et son style audacieux, défendre ses idéaux ou plaider des causes politique, éthique ou socio-économique, l'intellectuel s'engage dans une voie souvent périlleuse qui peut le mener, pour reprendre la taxinomie gramscienne, d'un positionnement organique à un rôle critique. Son œuvre l'expose à toutes formes de rejet et d'opposition qui peuvent émaner de ses détracteurs, de la sphère politique ou religieuse. Deux interrogations centrales émergent et nourrissent cet atelier : Comment l'intellectuel se transforme-t-il en une menace ou un risque pour le pouvoir ? Existe-t-il des sphères ou des espaces que l'intellectuel ne doit pas sillonner pour éviter de rentrer en collision avec l'univers politique ? 

De l'époque classique à l'époque moderne, les littérateurs arabo-musulmans se sont retrouvés au cœur de cette dualité funeste : s'engager/s'exposer, savoir/pouvoir. Les exemples sont multiples : du poète Ṭarafa b. al ‘Abd, assassiné par le roi d'al-H̩īra qui aurait été offensé par un vers satirique, à Tahar Jaout, l'un des premiers écrivains et intellectuels victimes de la décennie noire en Algérie pour arriver aux menaces qui planent sur Kamel Daoud, la figure de l'écrivain est incessamment menacée par la portée de sa pensée et l'audience sociale et sociétale de son œuvre. Toutes les manifestations de l'acte d'écrire, qu'elles soient physiques, intellectuelles ou matérielles font face à cette tension perpétuelle entre l'auteur et son public. Certes ces situations antagonistes sont légion en terre d'Islam depuis l'époque classique. Or, peut-on parler de la réitération du même schéma conflictuel entre savoir et pouvoir ? Ou existe-t-il un paradigme propre à chaque période, animé par une singularité contextuelle marquée par des enjeux et des logiques de pouvoir spécifiques ?

Cet atelier sera l'occasion de discuter des intimidations et pressions qui planent sur la figure de l'intellectuel, qu'il soit savant, poète, romancier, dramaturge, etc. Il sera question de mettre en lumière les manifestations de relation périlleuse entre savoir et pouvoir, politique et religieux, politique et littéraire et ses conséquences sur la littérature et la pensée arabo-musulmane. Nous nous interrogerons sur le parcours et le destin qu'ont connus et connaissent encore l'homme de lettres et l'intellectuel arabes ainsi que les modalités de dépassement et les stratégies de contournement qu'ils ont mobilisées. Peut-on parler d'un art d'écrire caractéristique de la production littéraire dans un contexte de crise avec le pouvoir ? Toutes ces interrogations convergent vers une problématique centrale dont les rémanences sont toujours d'actualité dans le monde arabo-musulman en particulier et dans d'autres parties du globe en général : Comment définir les horizons de la liberté créatrice ?

Summary in english :

From the works of Léo Strauss[1] to the recent productions of Emmanuelle Tixier Du Mesnil[2] and the elaborations of Mohamed Arkoun[3] , the problem of the shifting and difficult relationship between knowledge and power in the land of Islam has arisen. Whether it is to take up his writings and his daring style, defend his ideals or plead political, ethical or socio-economic causes, the intellectual embarks on an often perilous path that can lead him, to use Gramscian taxonomy, from an organic positioning to a critical role. His work exposes him to all forms of rejection and opposition, whether from his detractors or from the political or religious sphere. Two central questions emerge and feed into this workshop: How does the intellectual become a threat or a risk to power? Are there spheres or spaces that intellectuals should not cross to avoid colliding with the political universe? 

From classical to modern times, Arab-Muslim literati found themselves at the heart of this fateful duality: to commit/to expose, knowledge/power. There are many examples: from the poet Ṭarafa b. al 'Abd, assassinated by the king of al-H̩īra who was allegedly offended by a satirical verse, to Tahar Jaout, one of the first writers and intellectuals to fall victim to the black decade in Algeria, to the threats hanging over Kamel Daoud, the figure of the writer is constantly threatened by the scope of his thought and the social and societal audience of his work. All manifestations of the act of writing, whether physical, intellectual or material, face this perpetual tension between the author and his audience. These antagonistic situations have been legion in Islam since classical times. But can we speak of a repetition of the same conflictual pattern between knowledge and power? Or is there a paradigm specific to each period, driven by a singular context marked by specific issues and logics of power?

This workshop will provide an opportunity to discuss the intimidations and pressures that hang over the figure of the intellectual, whether he or she be a scholar, poet, novelist, playwright, etc. The aim is to highlight the perilous relationship between knowledge and power, politics and religion, politics and literature, and its consequences for Arab-Muslim literature and thought. We will look at the paths and destinies that Arab men of letters and intellectuals have followed and continue to follow, as well as the ways in which they have overcome them and the strategies they have used to circumvent them. Can we speak of an art of writing that is characteristic of literary production in a context of crisis with the authorities? All these questions converge on a central issue that is still topical in the Arab-Muslim world in particular and in other parts of the world in general: How can we define the horizons of creative freedom?

 Bibliographie sélective et indicative :

ARKOUN, Mohammed, « Quelques tâches de l'intellectuel musulman aujourd'hui », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 100 | 2020, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 09 septembre 2023.

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