Le Taḥadduṯ bi-ni'mat Allāh et l'adab ou comment l'injonction coranique de parler des bienfaits de Dieu s'est traduite dans la littérature arabe prémoderne The Taḥadduṯ bi-ni'mat Allāh and the adab or how the Qur'anic Injunction to Speak of God's Blessings was Translated into Premodern Arabic Literature
Monica Balda-Tillier  1@  , Brigitte Foulon * , Paige Gibson * , Jaafar Ben El Haj Soulami * @
1 : Laboratoire Universitaire Histoire Cultures Italie Europe  (LUHCIE)
Université Grenoble Alpes
* : Auteur correspondant

En conclusion de la sourate al-Ḍuḥā (La clarté du jour, XCIII) qui évoque l'assistance que Dieu apporte à l'homme dans le besoin, le verset 11 récite wa-amma bi-niʽmat rabbi-ka fa-ḥaddiṯ (« Quant aux bienfaits de ton Seigneur, raconte-le », trad. Denise Mason, Essai d'interprétation du Coran inimitable, Pleiade, 1980). Al-Ṭabarī (m. 310/923), suivi par Ibn Kaṯīr (m. 774/1373), interprètent ce verset en expliquant que les musulmans croient (yara'unā) que le simple fait de parler des bienfaits que Dieu accorde aux hommes représente en soi une forme de remerciement au Seigneur pour la grâce qu'Il a accordé aux hommes (al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān ʿan tā'wīl āl al-Qurān, Dār Haǧar li-l-ṭibāʿa wa-l-našr wa-l-tawuzīʿ wa-l-iʿlān, Le Caire, 2001, vol. 24, p. 191 et Ibn Kaṯīr, Tafsīr al-qur'ān al-‘aẓīm, Dār ṭayyiba li-l-našr wa-l-tawzīʿ, Riad, 1999, vol. 8, p. 127).

Or, ce verset influença profondément plusieurs genres littéraires « profanes », dont l'autobiographie, le récit de voyage, les traités d'amour et les histoires des martyrs de l'amour qu'ils contiennent ne représentent que quelques exemples. Comme Éric Vallet l'explique dans son article « Des grâces que Dieu m'a prodiguées de Jalal al-Din al-Suyuti », dans P. Boucheron (dir.), Histoire du monde au XVe siècle, Fayard, 2009, p. 488-493, p. 488), l'autobiographie d'al-Suyūṭī (m. 911/1505) intitulé Taḥaddūṯ bi-niʿmat Allāh, « souhaite [..] exposer toutes les « grâces » (ni‘ma) dont le Créateur l'a comblé dans son infinie sagesse, autrement dit, ses hauts faits personnels ». En 2007, l'article de Dewin J. Stewart « Recounting God's Blessings: Linguistic Prophylaxis and Self-Representation in Arabic Autobiography » (al-‘Arabiyya 40/41 (2007-2008), p. 197-219, p. 197) avait déjà institué ce principe en pilier d'un « pacte autobiographique » arabe prémoderne. En référence à ce verset, l'acte de retracer sa vie ne pouvait en effet être conçu et justifié, dans le cadre de la doctrine islamique et vis-à-vis des critères didactiques qui doivent régir l'adab, que dans l'intention de rendre grâce à Dieu pour les bienfaits de sa création et de fournir des exemples de comportements exemplaires (Dwight F. Reynolds, Interpreting the Self, Autobiography in the Arabic Literary Tradition, Los Angeles, University of California Press, 2001, p.3).

Dans le récit de voyage, affirme Houari Touati (Islām et voyage au Moyen Âge, Seuil, Paris, 1994) ce principe est également essentiel, autant dans la création idéale de l'espace de la Dār al-islam dans lequel se déplacent les voyageurs arabes, que dans la conception de l'homo islamicus idéal qui représente le but ultime de ce genre d'écriture.

Dans la théorie de l'amour profane enfin, ce principe rend une passion absolue et meurtrière, qui se situe en dehors du mariage et qui est adressée à une créature de ce bas monde, licite vis-à-vis de la doctrine islamique et légitime, par conséquent, le martyre d'amour au nom du grand ǧihād (Monica Balda-Tillier, Histoires d'amour et de mort, Le précis de l'amour de Muġulṭāy (m. 1301), Presses de l'IFAO, Le Caire, 2022).

Ce panel se propose de mettre en évidence les divers aspects et applications « pratiques » que l'influence de cette injonction coranique a exercés sur la production d'adab à l'époque prémoderne (IXe/XIXe siècle) et d'explorer son articulation avec le « but pédagogique », qui inspire toute cette production.



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